Je vous propose un tour de magie.
Notez les 3 premiers mots qui vous viennent à l’esprit lorsque je vous dis “Zones humides” et laissez-moi deviner !
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Réponse ?



J’y suis presque ?
C’est (tristement) les 3 mots qui reviennent le plus souvent lorsqu’on parle des zones humides. Pourtant elles sont essentielles à nos conditions de vie sur terre.
Mais d’où viennent ces croyances ? Pourquoi ces milieux sont-ils victimes d’autant d’aprioris ? La réponse en 4 points 🙂
Mythe n°1 Les zones humides sont insalubres

Pendant très longtemps, zones humides rimaient avec maladies. Considérées par l’État comme des “territoires dangereux pour la santé humaine”, elles étaient l’ennemi public n°1. De nombreuses lois furent promulguées pour les assécher.
Mais d’où vient cette croyance ? Les zones humides abritent une biodiversité incroyable. Mais certains de leurs habitants sont moins appréciés que d’autres. Le moustique, locataire fidèle de ces milieux, n’a jamais fait l’unanimité parmi l’humanité. Vecteur de maladies comme le paludisme, il fût (et est encore) à l’origine de nombreuses contagions. Le lien entre la piqûre de moustique et la maladie ne fut découvert qu’à la fin du 19ème siècle. Avant, les populations pensaient que c’était l’air des zones humides qui propageait les maladies.
Mythe n°2 Les zones humides sont peuplées d’être maléfiques

Les zones humides ont fait l’objet d’un riche imaginaire fantastique. Sorcières, géants, loups garous, jeteurs de sorts : elles ont longtemps été associées à des peurs irrationnelles ou des pratiques magiques relayées par les contes et les légendes. La littérature a influencé, et influence encore, la perception que l’on a de ces milieux.
Par exemple, dans une des scènes mythiques du Seigneur des anneaux (Les deux tours), Frodon traversera à ses dépens un marais rempli de cadavres flottants, hypnotisé par les morts qui l’attirent à eux.
Mais d’où vient cette croyance ? L’isolement géographique en a fait des lieux en marge, refuges idéaux pour les hors la loi et les rites spirituels. La mauvaise connaissance scientifique de ces milieux complexes et des processus chimiques qui s’y opèrent a également contribué à leur mauvaise réputation : les feux follets et les émanations de soufre provenant de la combustion des gaz issus de la décomposition de la matière sont de parfaits exemples. Les feux follets ont longtemps étaient vus comme des esprits ou des âmes errantes.
Mythe n°3 Les zones humides sont inutiles

Longtemps qualifiées de “zones défavorisées” ou “zones à handicap” elles étaient perçues comme sans intérêts. Ces milieux étaient considérés comme des zones peu productives et moins rentables. Les personnes qui s’opposaient à l’exploitation des zones humides étaient vues comme des personnes hostiles au développement de nos sociétés.
Mais d’où vient cette croyance ? Les zones humides, souvent saturées en eau, peuvent rendre difficile la culture de certaines plantes qui préfèrent des sols bien drainés. Pour exploiter de manière plus intensive nos terres et permettre la culture de certains types de céréales, nous avons asséché les zones humides. On sait aujourd’hui que les zones humides sont parmi les écosystèmes les plus productifs au monde, combinant nutriments de la terre et de l’eau.
Mythe n°4 Les zones humides sont laides

Leur aspect visuel a souvent été réduit à de sombres marécages, des sols boueux, des paysages désordonnés. La littérature et les récits populaires ont renforcé cette perception négative : « La Mare au Diable » par George Sand, « La Chartreuse de Parme » par Stendhal, …
“Le paysage était triste et morne, les eaux stagnantes reflétaient un ciel gris et lourd. Les roseaux se balançaient doucement sous l’effet du vent, créant un murmure mystérieux. L’air était chargé d’une odeur de terre mouillée et de décomposition, accentuant l’impression de désolation qui régnait en ces lieux. » La Mare au Diable par George Sand
Mais d’où vient cette croyance ? D’une combinaison de tous les mythes précédents ! Les zones humides ne réunissaient apparemment pas les critères de beauté de l’époque !
Et concrètement, quelles ont été les conséquences de ces mythes pour les zones humides ?
C’est le moment où nous abordons dans cet article la triste ère du drainage.
Le drainage c’est quoi ? C’est une technique qui consiste à assécher les zones humides, pour évacuer leur trop plein d’eau et pouvoir y développer nos agricultures et nos villes.
Pourquoi est-ce problématique ? En drainant l’eau on dégrade les zones humides, on libère dans l’atmosphère tout le C02 qu’elles avaient mis des millénaires à stocker, on détruit la biodiversité présente, on accélère le débit de l’eau, on modifie sa trajectoire, rendant nos sols imperméables et sujets à la sécheresse ou aux inondations… Bref le drainage c’est mortel !
Pour toutes les raisons ci-dessus, depuis l’ère romaine on promeut, on finance, on célèbre, on inaugure l’assèchement des zones humides.

Les rois mènent une intense politique d’assèchement qui durera du XVI au XIXème siècle. Henri IV, Louis XIII, Louis XV, Napoléon 1er … et De Gaulle se passent le relais pour drainer les zones humides ! En 16 ans, rien qu’entre 1845 et 1901, plus de 7 lois et décrets sont promulgués pour assécher les zones humides. Dont certaines encore effectives aujourd’hui. Et ce rythme effréné continuera jusqu’en 1964 : une loi est adoptée pour lutter contre la démoustication et permettre l’assèchement de zones humides constituant des gîtes à moustiques. 1964 c’était hier !
Au cours du temps, deux “progrès” ont contribué à accélérer le drainage des zones humides :
- La révolution industrielle : en 1840 avec l’invention de la presse à tubes de drainage en argile en Angleterre
- Après la seconde guerre mondiale : en 1940 avec le développement de machines pour le drainage par canalisations

Le drainage atteindra son point culminant au XX siècle, post seconde guerre mondiale : sous l’empreinte de la salubrité publique, les zones humides seront détériorées sans commune mesure.
Aujourd’hui, en France, on estime que 2,8 millions d’hectares sont drainés (source OFB BD drainage). Cela représente 10% des terres agricoles !

Les effets de cette politique ont été désastreux pour l’environnement. L’ère du drainage a renforcé le réchauffement climatique, asséché nos terres, et détruit notre biodiversité. Il est aujourd’hui difficile d’évaluer avec précision la part de zones humides qui a été détruite dans le temps. On estime que 87% de ces milieux ont été détruits dans le monde sur les 300 dernières années.
Heureusement depuis les années 1950, des pionniers, visionnaires, scientifiques ont permis une prise de conscience qui permet de rompre progressivement avec leur mauvaise réputation. Ce n’est que récemment que le monde (re)découvre l’intérêt écologique, économique et esthétiques de ces milieux.
Le GHZH vous connaissez ? Non ce n’est pas le nom du dernier groupe de rap à la mode. L’histoire de nos précieuses zones humides est tellement étonnante qu’un groupe de personnes a décidé d’y consacrer tout son temps. Regroupé sous le poétique nom des GHZH (groupe d’histoire des zones humides), une centaine de membres, historiens, géographes, environnementalistes se sont fixés la mission de redonner une dimension temporelle aux zones humides. Si vous voulez en savoir plus sur le sujet, consulter : https://www.ghzh.fr/
Conclusion
Ces milieux, victimes de siècles de préjugés, n’ont été réellement étudiés par les scientifiques qu’à partir des années 1950. Aujourd’hui, de nombreux acteurs se mobilisent pour leur protection. C’est d’ailleurs le premier écosystème à faire l’objet d’une convention internationale dédiée. La France, consciente de leur importance, a lancé une stratégie nationale pour les préserver : le plan national milieu humide piloté par l’OFB. Grâce à une meilleure compréhension de leur rôle écologique, les perceptions des zones humides ont évolué. Elles sont désormais de plus en plus reconnues pour leur beauté naturelle et leur valeur environnementale. Reconnectons-nous avec ces écosystèmes et repensons notre monde pour un avenir plus durable. C’est la mission que nous nous fixons avec Flamingo !
Crédit photos
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Photo 4, 5, 6, 7 Pixabay
Photo 8 https://www.fraenkische.com/fr-FR/competence/agricultural-drainage
Photo 9 https://www.zones-humides.org/sites/default/files/images/milieuxendanger/evolution_drainage.png