Chasses et zones humides : un autre regard

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Parler de chasse, quand on défend la biodiversité c’est souvent soulever des émotions contraires. Curiosité, incompréhension, parfois colère. Chez Flamingo, nous croyons pourtant qu’il est essentiel de tendre l’oreille vers tous ceux qui vivent et façonnent les zones humides. C’est à ce titre que nous avons rencontré Sébastien Farau, chercheur et passionné de marais, chasseur de gibier d’eau, mais aussi observateur du vivant.Son regard, loin des clichés, rappelle une vérité simple : la protection des milieux passe d’abord par la rencontre.

Entretien avec Sébastien Farau

Flamingo — Sébastien, comment est née votre relation avec les zones humides ?

Sébastien Farau — C’est une histoire de famille. Je viens d’une lignée de chasseurs de gibier d’eau. Mes ancêtres se cachaient dans des tonneaux remplis de paille pour chasser le canard de nuit, à la fin du XIXᵉ siècle ! Moi, j’ai découvert les marais par ce biais, mais ma passion a vite dépassé la chasse. J’ai grandi dans ces paysages, fasciné par leurs oiseaux, leurs lumières, leur silence. C’est un lien viscéral.

Flamingo — En quoi la chasse peut-elle, selon vous, contribuer à la préservation de ces milieux ?

Sébastien Farau — Très concrètement, pour chasser, il faut un habitat accueillant. Pas d’eau, pas d’oiseaux. Les chasseurs ont donc tout intérêt à entretenir les zones humides. Si vous parcourez les marais littoraux, vous verrez que nombre d’entre eux sont encore en vie grâce à l’investissement des chasseurs : entretien des plans d’eau, gestion des niveaux d’eau, lutte contre la déprise agricole… Ce ne sont pas les seuls, bien sûr, mais ils comptent parmi les gardiens historiques de ces espaces.

Flamingo — Comment ces milieux ont-ils évolué depuis vos débuts ?

Sébastien Farau — Malheureusement, j’ai vu beaucoup de changements. Des marais asséchés, des espèces exotiques envahissantes, et surtout un manque d’eau criant et croissant. Quand j’ai commencé à chasser, il y a vingt-cinq ans, les plans d’eau se remplissaient naturellement. Aujourd’hui, sans réalimentation artificielle, beaucoup se dessèchent. Même certaines réserves naturelles doivent désormais pomper l’eau pour maintenir des milieux accueillants. C’est un vrai défi.

Tourbière du Peuil (Isère)

Flamingo — Vous pratiquez la chasse à la tonne. Pouvez-vous nous expliquer en quoi elle consiste ?

Sébastien Farau — C’est une chasse de nuit, très technique. On se cache dans une cabane enterrée, la “tonne”, près d’une mare où l’on dispose des appelants — des canards domestiqués qui imitent leurs congénères sauvages. Le but est de les faire venir se poser, jamais de tirer au vol. C’est un jeu d’équilibre entre vent, lune, affinité des oiseaux, saison… Rien n’est laissé au hasard.

De l’extérieur, cela peut paraître simple, mais c’est tout l’inverse. C’est une école de patience et de connaissance du vivant.

Flamingo — Vous évoquez un lien particulier avec vos appelants.

Sébastien Farau — Oui, c’est quelque chose de fort. On les élève soi-même, parfois depuis l’état de caneton. Ils deviennent un peu nos compagnons. Quand on en perd un, c’est une vraie douleur. Certains trouvent cela paradoxal : aimer un animal et en chasser d’autres. Mais la relation est très humaine. Ce qui nous est proche nous touche davantage. Comme un voisin ou un ami que l’on voit tous les jours : la proximité crée l’attachement.

Flamingo — Vous avez travaillé sur le savoir écologique des chasseurs. Que révèle votre recherche ?

Sébastien Farau — Elle montre une grande diversité de profils. Certains pratiquent sans trop se poser de questions ; d’autres deviennent de véritables experts du vivant. Certains n’ont pas fait d’études supérieures, mais connaissent leur marais mieux que n’importe quel scientifique. Ces “savoirs écologiques locaux” sont précieux. Ils se transmettent par l’observation, la mémoire et la passion.

Ce qui manque souvent, c’est la rencontre entre ces savoirs de terrain et ceux de la science. Nous travaillons trop de manière cloisonnée. Or, la biodiversité, c’est un bien commun.

Flamingo — Le discours des chasseurs reste difficile à entendre dans le débat public. Pourquoi, selon vous ?

Sébastien Farau — Parce que la société a changé son rapport à la mort et à l’animal. Autrefois, même en ville, tout le monde savait d’où venait la viande. Aujourd’hui, ce lien s’est rompu. Cela rend la chasse incompréhensible pour beaucoup.

Et pourtant, il y a des nuances. Personnellement, je préfère consommer un animal qui a vécu libre plutôt qu’un animal issu d’un élevage intensif. Je respecte les convictions de chacun, mais je crois qu’on gagnerait à se parler davantage, sans juger.

FlamingoDepuis quelques années, l’usage du plomb dans les munitions de chasse est interdit dans les zones humides. Cette mesure vise à limiter la contamination de l’eau et des sols, car les résidus de plomb laissés par les tirs peuvent être ingérés par les oiseaux d’eau, provoquant des cas d’empoisonnement et affectant la qualité du milieu. Quelle est votre position sur cette question ?

Sébastien Farau — C’est un sujet important, et je comprends bien les raisons de cette interdiction. Personnellement, j’utilise depuis longtemps des munitions de substitution.

Au début, les alternatives (comme l’acier) étaient moins performantes, mais aujourd’hui elles le sont tout autant, simplement plus coûteuses.

Le vrai enjeu n’est plus technique, mais économique.

Pour la majorité des chasseurs, tirer sans plomb n’est pas un problème en soi, tant que la munition reste accessible.

Ce qui pose davantage question, ce sont les zones continentales où l’on parle d’une interdiction totale du plomb, bien au-delà des marais. Je ne suis pas opposé à cette évolution si les expertises scientifiques montrent que c’est nécessaire. 

Il faut simplement accompagner cette transition sans caricature, en gardant en tête qu’elle participe à la même ambition : préserver la qualité de l’eau et du vivant.

Flamingo — Certains accusent la chasse d’aggraver les pressions sur les espèces fragiles. Que leur répondez-vous ?

Sébastien Farau — C’est une question légitime. Il faut en parler. La régulation doit se baser sur l’état réel des populations, pas sur les émotions. Je suis favorable à une gestion adaptative, fondée sur des données scientifiques. Si une espèce va mal, on arrête, point.

Mais il faut aussi parler de la perte d’habitats, du changement climatique, de la prédation. Focaliser uniquement sur la chasse, c’est ignorer 90 % du problème.

Flamingo — Avez-vous déjà réussi à changer le regard de personnes opposées à la chasse ?

Sébastien Farau — Oui, et c’est une satisfaction. J’ai invité des amis farouchement anti-chasse à venir passer une nuit à la tonne. Aucun n’est devenu chasseur, sauf un, mais tous ont changé leur regard. Ils ont compris la complexité, la rigueur, la connaissance du vivant que cela implique. 

Flamingo — Et selon vous, quel avenir pour la chasse en zones humides ?

Sébastien Farau — J’aimerais qu’elle reste possible, durable et ouverte au dialogue. J’ai peur que les tensions actuelles creusent un fossé. Si la chasse disparaissait, ce serait, je crois, une perte pour la biodiversité elle-même. Pas à cause des fusils, mais parce qu’on perdrait des gestionnaires passionnés, ancrés dans le territoire.

J’espère qu’on saura préserver l’essentiel : le lien entre l’humain et le marais.

Conclusion

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